Tunisie - Les Amazighs offensés par un nouveau billet de banque
Le Congrès Mondial Amazigh demande de retrait du nouveau billet de banque de 10 Dinars qui en l'apparence semble valoriser le fait culturel amazigh en Tunisie. Dans une lettre ouverte, le Gouverneur de la banque centrale de Tunisie est interpellé sur ses manquements en matière de dispositions juridiques internationales sur les peuples autochtones.
M. Le Gouverneur et Président du Conseil d’administration de la BCT,
Récemment, votre institution a mis en circulation un nouveau billet de banque de dix Dinars tunisiens, mettant à l’honneur une femme médecin sur une face du billet et sur l’autre face, les « poteries et bijoux berbères ».
Comme vous ne pouvez pas l’ignorer, le terme « berbère » vient du latin « barbarus », appliqué par les Romains à tous ceux qui ne parlaient pas leur langue. Ils l’ont donc appliqué aux Amazighs, les autochtones de l’Afrique du nord, lorsqu’ils ont envahi cette région au IIème siècle avant l’ère chrétienne.
Des siècles après, de manière tout à fait inappropriée, la Tunisie est le seul Etat qui persiste dans l’utilisation du terme berbère au lieu et place du nom authentique « Amazigh ».
Pire que cela, sur votre billet de banque, l’adjectif « berbères » est traduit en arabe par « barbaria », c’est-à-dire « barbares » ? Est-ce une manière
tunisienne d’offenser et de stigmatiser les Amazighs ? Pourquoi donc ce mépris et cette haine institutionnelle envers une partie fondatrice de la Tunisie ?
Il nous parait bien utile de vous rappeler, M. le gouverneur, que les barbares, ce ne sont pas les paisibles Amazighs connus pour leur sens de l’hospitalité mais bien les étrangers envahisseurs de leurs territoires, des
Romains jusqu’aux Français, en passant par les Arabes, les Othomans et bien d’autres. L’ironie de l’histoire c’est que ce sont les agresseurs et colonisateurs de l’Afrique du nord qui traitent les autochtones Amazighs
de barbares.
Par ailleurs, avez-vous M. le gouverneur, pensé à consulter les experts et les représentants de la société civile amazighe sur ce sujet ? Savez-vous qu’il existe en droit international adopté par la Tunisie, le principe
du « consentement préalable, libre et éclairé » pour toute décision concernant les peuples autochtones ?
De ce fait, vous auriez-dû non seulement consulter mais également obtenir le consentement des Amazighs avant de décider de présenter ainsi ce patrimoine amazigh inscrit en 2018 par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité.
Nous avions d’ailleurs attiré l’attention de votre gouvernement sur ce principe à ce moment-là, mais visiblement sans effet.
En conséquence, nous vous demandons instamment M. le gouverneur de corriger votre faute en retirant de la circulation tous ces nouveaux billets de banque et de les rééditer avec l’inscription suivante : « Poteries et
bijoux Amazighs » et sa traduction en arabe.
Nous vous informons que si besoin, nous sommes à votre disposition pour vous prêter à titre gracieux notre expertise et mobiliser les compétences utiles pour toute question relative à l’amazighité dans votre pays.
En attendant la prise en considération et la mise en œuvre de notre requête, nous vous prions d’agréer, M. le gouverneur et président du Conseil d’Administration de la Banque Centrale de Tunisie, l’expression de nos
meilleurs sentiments.
Paris, 10/09/2970 – 22/09/2020
Les co-présidents
Kamira Nait Sid – Khalid Zerrari
Copie :
- M. Hichem Mechichi, Chef du gouvernement
- M. Ali Kooli, Ministre de l’Economie et des Finances