Niger : La « mangeoire » comme levier politique ?

Au lendemain des dernières élections au Niger, élections à la fois présidentielle et législatives, les flottements et les divers marchandages qui ont visiblement présidé à la formation du gouvernement issu de ces scrutins n’ont pas manqué de surprendre et de décevoir ceux qui souhaitaient enfin accompagner un véritable renouveau de notre vie publique… Apparu dès sa formation comme un attelage assez incompréhensible, le gouvernement semblait offrir une cohérence politique et fonctionnelle plus que discutable. Et les observateurs les plus optimistes en avaient alors conclu qu’il s’agissait d’une sorte d’assemblage de circonstances qui devait, le moment venu, laisser place à une équipe dont la composition allait enfin permettre de faire face aux défis que le Niger doit relever au plus vite.

En effet, fragilisé par une situation socio-économique dont les racines tiennent plus aux dysfonctionnements structurels de l’Etat et de ses institutions qu’à l’action de tel ou tel régime, le pays est de surcroît placé au cœur d’un tourbillon sécuritaire qui menace considérablement sa stabilité et sa souveraineté. La gestion d’une situation aussi tendue devait donc logiquement générer au plus vite des mesures exceptionnelles pour le bien de tous ! En quête de la résolution de telles urgences, nous attendions qu’une gouvernance de crise, capable de faire appel aux potentialités en matière de compétence et d’efficacité, allait enfin s’organiser dans le respect des équilibres nationaux. Il n’en a rien été ! De plus, une équipe resserrée délivrée d’une certaine routine trop pesante aurait enfin pu permettre d’exclure les affaires et le folklore ! Dans ce contexte, le président Mahamadou Issoufou a raison de persister à vouloir former un gouvernement d'union nationale, malgré l’opposition de certains barons de sa propre formation politique et le fait qu’aucune arithmétique ne l’y oblige. Un gouvernement d’union nationale ne peut que proposer des objectifs politiques clairs puisque ceux-ci seraient fixés par les différentes forces politiques qui le composent. Cela pourrait largement éviter ainsi d‘apparaître uniquement comme une manière très classique de se partager les avantages du pouvoir et donnerait un peu d’espérance aux Nigériens qui croient encore à une possible amélioration de leur qualité de vie.

Avec l’acceptation du MNSD de participer à un coexercice du pouvoir, le président Mahamadou Issoufou dispose désormais des moyens qui lui permettraient de s’affranchir des caprices d’une partie de la pléthorique clientèle politiques qui l’a amené à former un gouvernement dont le ridicule n’a d’égal que son absence de consistance.

Le pays doit être rassemblé autour de l'essentiel, le temps d’y voir plus clair dans les bouleversements géopolitiques qui secouent la sous-région. Et la classe politique devrait faire passer l’intérêt du pays avant toute autre considération. Les démocraties les plus abouties savent faire taire les querelles politiques et politiciennes dès lors que la cohésion et les intérêts vitaux du pays sont menacés. Il y a un temps pour tout.

Contrairement à une idée qui a circulé récemment, dans certains milieux gagnés faute de mieux par une utopie relativement aveugle, il n’est pas certain que le Niger soit d'ores et déjà en mesure de s’octroyer le luxe d’un gouvernement purement technique. Il semble, en effet, que les considérations politiques partisanes dominent par trop encore la vie publique et que la notion d’intérêt national demeure une abstraction pour beaucoup.

Il semble urgent et primordial que le président de la République apaise le jeu politique et prenne de la hauteur pour tempérer les ambitions par moments trop égocentrées de certains de ses amis du PNDS/TARAYYA (Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme) et rassurer ses alliés pour mieux contenir leurs ardeurs eu égard à la cohésion gouvernementale. Cette posture de distanciation aurait assurément des incidences positives sur la consolidation de son autorité et l’affirmation du respect dû à cette éminente fonction. Les ambitions carriéristes auraient ainsi la possibilité de s’exprimer et de se manifester sur d’autres terrains Un climat politique apaisé suppose également le respect de l’opposition et sa consultation régulière sur les grandes décisions qui touchent les fondamentaux vitaux de la vie du pays. Les détracteurs du gouvernement d’union nationale ne sont pas réalistes et ils semblent ne pas avoir évalué la gravité réelle de la situation dans laquelle se trouve le Niger. Cette naïveté qui consiste à croire en permanence que le pays va pouvoir éternellement continuer à vivre normalement alors qu’il est sous la menace de plusieurs risques de déstabilisation est dangereuse et pour le moins le signe d’une totale irresponsabilité. A cela s’ajoute une situation économique très tendue, qui ne laisse pas entrevoir des perspectives très reluisantes. Ces détracteurs oublient également que l’Etat n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de ses frontières et doit aujourd’hui se résigner à céder une part de sa souveraineté pour assurer un minimum de tranquillité aux Nigériens.

Compte tenu de l’attitude affairiste et carriériste de nombre de candidats aux postes de responsabilité, et prenant en compte la faiblesse des institutions de régulation, il appartient au chef de l’Etat de veiller aux équilibres nécessaires à la stabilité du pacte national. Les dernières élections n’ont pas été très équilibrées, non pas seulement parce que le PNDS s’est arrogé les moyens d’une large victoire, mais surtout parce que la représentation effective des populations ne s’est pas faite correctement dans certaines régions. L’argent et l’absence de courage politique ont créé des situations porteuses de frustration, donc de risques de troubles. Ce phénomène d’usurpation de la souveraineté des populations constitue une pratique dangereuse pour la cohésion nationale. Ainsi des pans entiers du peuple voient leurs suffrages dévoyés pour servir des intérêts privés.

Le président Mahamadou Issoufou devrait lui aussi faire preuve de réalisme et redresser sa pratique politique s’il veut réellement consolider les acquis démocratiques et contribuer à préparer l’avenir. Ce second mandat devrait servir à mener de front les trois chantiers qui se dégagent et qui permettraient au pays d’avancer :

* - Une redynamisation des institutions de l’Etat, qui passe nécessairement par la modernisation de la pratique politique et le rajeunissement des élites. Il s’agirait d’impulser ainsi une reconfiguration du paysage politique sans déstabiliser les fondamentaux qui assurent la cohésion nationale. Nouvelle dynamique politique à laquelle il conviendrait d’associer davantage les autorités coutumières, religieuses, la société civile et les différentes formes de contre-pouvoir.

* - Repenser la politique sécuritaire en tirant toutes les leçons de la tragédie humaine, militaire et politique de Bosso. Les moyens humains et matériels existent, il suffirait de les rendre opérationnels par une volonté politique claire consistant à associer les populations locales à la sécurité du pays. Le Niger ne devrait rien avoir à envier au Tchad en matière de capacité dans ce domaine !

* - Lutter contre les effets pervers de la corruption et de l’argent sur la vie publique, notamment les rapports des citoyens à l’Etat. L’argent est en train de travestir l’idée démocratique au point de créer une confusion générale sur la portée et le sens du vote citoyen. La confiance du citoyen dans la République et sa démocratie ne peuvent cohabiter avec des intérêts privés qui asservissent l’Etat et instrumentalisent ses institutions. A défaut de pouvoir tenir tout son programme économique, le président Mahamadou Issoufou pourrait ainsi contribuer à asseoir enfin un Etat de droit doté d’institutions qui fonctionnent pour le bien de tous. L’Histoire retiendrait alors qu’il a largement contribué à l’émergence d’une culture politique qui a placé le pays sur les rails du développement et peut-être même un train sur ceux qui doivent relier Dosso au reste du monde !

Abdoulahi ATTAYOUB

Lyon (France) 28 août 2016

Par : Attayoub Abdoulahi
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