Monarchie alaouite : De quoi l’ELCO est-il le nom ?

ELCO

Dans une note datée du 8 mars 2024, le ministère marocain de l’éducation nationale a appelé les directeurs des académies régionales et ceux des établissements scolaires à recruter des fonctionnaires pour enseigner « la langue arabe et la culture marocaine aux enfants des Marocains résidents en Europe ». Le but de cet enseignement, explique le ministère, est de « bâtir des ponts » entre ces Marocains qui vivent à l’étranger et leur pays d’origine et surtout avec ses « valeurs nationales, religieuses, identitaires et culturelles ».
Le ministère compte recruter 151 enseignants et les envoyer en France (68), en Espagne (38) et en Belgique (45). Leurs contrats sont d’une durée de quatre ans.
Le ministère n’a fait aucune allusion à la langue et à la culture amazighes dans ce document. Pourtant, cette langue est officielle dans la constitution, nous dit-on. Elle est même enseignée dans les écoles marocaines. La plupart des enfants ciblés en Europe par cet enseignement de la « langue arabe et de la culture marocaine » sont amazighs. Cet enseignement ne vise en réalité qu’à arabiser et à islamiser les Imazighen en Europe.

C’est quoi l’ELCO ?

L’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) est un dispositif français d’intégration destiné aux élèves migrants. Il a vu le jour en France au cours des années 1970. L’objectif est de permettre aux élèves étrangers de mieux s’insérer dans l’école de la République tout en conservant leurs racines à travers le maintien d’un lien avec le pays d’origine.
La circulaire n° 76-128 du mars 1976, qui a fixé le cadre général de cet enseigne-ment, précise que « des cours de langue et de civilisation étrangères peuvent être donnés dans les écoles élémentaires, en dehors des heures de classe, à l’intention d’élèves étrangers qui ne bénéficient pas encore d’un enseignement de leur langue maternelle intégré au tiers temps pédagogique. »
C’est le Portugal, un pays d’émigration, qui a demandé en premier l’enseignement de sa langue dans les écoles françaises. La France signera par la suite des accords bilatéraux avec plusieurs pays dont le Maroc (décret n° 91-774 du 7 août 1991). Cet enseignement est assuré par des « maîtres » mis à la disposition de l’éducation nationale française par les États concernés.

L’ELCO transformé en machine idéologique

La monarchie marocaine a profité de ce dispositif en le transformant en une redoutable machine d’arabisation et d’islamisation contribue à priver les enfants amazighs de leur identité. Cette stratégie est mise en place également dans d’autres pays européens. La monarchie mobilise des ressources énormes pour cette opération. Elle exclut, jusqu’à présent, tout enseignement de la langue amazighe. La même stratégie est d’ailleurs adoptée par l’État algérien.

Depuis 1991, le Maroc a lancé les premiers programmes d’enseignement de la langue arabe et de la culture d’origine au profit des enfants des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Il s’agissait d’offrir à ces enfants des cours de langue arabe et de culture de leur pays d’origine afin de faciliter leur intégration dans le système scolaire marocain dans une perspective de retour. L’idée était de les doter d’atouts linguistiques à travers un enseignement de la langue arabe pour favoriser cette intégration, vu que l’émigration était considérée comme une phase transitoire qui devait se terminer par un retour au pays.

Au fil des années, la donne a changé. L’immigration de travail a fini par devenir celle du peuplement. Les MRE, essentiellement des Amazighs contraints de quitter leur pays (essentiellement du Rif et du Souss) par des politiques d’appauvrissement, ont fait le choix de rester dans les pays d’accueil parce que leur pays d’origine ne leur offre pas d’opportunités de nature à leur permettre de mener une vie digne.

Malgré cette absence de toute perspective de « retour » des immigrés au pays d’origine, le gouvernement marocain a continué à envoyer des enseignants d’arabe classique et de « civilisation marocaine » dans plusieurs pays européens, dont la France, la Belgique et l’Allemagne. Le but n’est pas de préparer ces enfants au retour au pays, mais de les arabiser et de les islamiser. Ce qui, bien évidemment, ne facilite pas leur intégration dans les pays d’accueil. Cette politique est dommageable aux enfants, notamment les enfants amazighs. L’ELCO est une implacable machine idéologique et politique dont le but est de priver ces enfants de leur identité, de leur faire croire qu’ils sont arabes tout en les maintenant sous la coupe de la monarchie marocaine.

C’est ce qui ressort d’un rapport de 80 pages intitulé « L’évaluation de l’impact de l’enseignement de la langue arabe sur la maîtrise de la langue et sur la culture de la communauté d’origine marocaine à l’étranger ». Il est publié par l’instance nationale d’évaluation du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique, un organisme lié au ’Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS).

Depuis 1999, le Maroc mobilise des moyens conséquents (576 enseignants) et draine en moyenne 75 000 bénéficiaires par an d’après des chiffres de la Fondation Hassan II pour les MRE, précise ce rapport (page 5). Malgré la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle depuis 2011, cette langue n’a toujours pas été intégrée dans l’ELCO. Pourtant, ce document, daté de 2017 [1], explique que l’ELCO est un « facteur d’équilibre identitaire, culturel et linguistique des nouvelles générations de Marocains établis à l’étranger ». Il précise que « cet engagement du Maroc pour assurer un enseignement de qualité de l’arabe aux enfants des MRE est renforcé par la Vision stratégique 2015- 2030 du CSEFRS par l’inclusion de ces enfants dans la réforme de l’éducation à l’horizon 2030. » Bien sûr, dans l’absence totale de la langue amazighe.

Cette « enquête de terrain » menée par des enseignants en utilisant des questionnaires biaisés auprès de 1272 personnes en France, en Belgique et en Allemagne, précise que 90,6 % des enfants sondés souhaitent apprendre l’arabe parce que c’est « important » pour eux. 83,8 % le font pour « apprendre le coran ». La question A10 de ce questionnaire que nous avons consulté propose dix réponses, toutes piégées. Celles-ci sont très dirigées idéologiquement. Le sondé n’a pas le choix. 85 % des sondés sont nés en Europe. 64 % d’entre eux sont des hommes et 36 % des femmes.

Arabisons tout

Ce rapport explique que « pour une large part des enfants des MRE qui apprennent l’arabe, ces cours commencent entre 6 et 8 ans, et près de 70 % considèrent avoir commencé l’apprentissage à cet âge. Il s’agit d’une période où se constituent les bases essentielles et durables du développement intellectuel et socio-émotionnel de l’enfant. A cet âge, en effet, l’enfant s’imprime de ses environnements social et matériel par l’intermédiaire du langage et de son activité sensorielle. Il acquiert ainsi les savoirs et compétences culturels et se forge sa propre image de soi ; l’apprentissage de la langue est donc un outil fondamental. » (p. 20) Rappelons qu’il s’agit ici de l’apprentissage de la langue arabe classique. Le but étant d’islamiser en enseignant l’arabe aux enfants. Il précise d’ailleurs que « l’association entre la langue et la religion ressort pour une majorité des enquêtés. »

Ainsi, être « musulman » signifie automatiquement être arabe. C’est ce que confirme ce document. « L’apprentissage de la langue arabe est fondamental. Il s’agit de l’arabe standard moderne (plus ou moins équivalent à l’arabe classique) qui est fortement chargé des identités nationale et religieuse, en tant que repère culturel (appartenance à la communauté arabe et à l’Islam). Ainsi, les apprenants considèrent que cette langue est un outil pour l’approfondissement des connaissances religieuses : c’est le cas de 91,3 % en Allemagne, 83,3 % en Belgique et de 76,3 % en France. Cette langue semble jouer un rôle dans le maintien de l’identité tout en renforçant l’estime de soi et le sentiment d’appartenance à une communauté culturelle et religieuse dans une situation migratoire. » (p. 21)

La maîtrise de l’arabe classique est « l’objet de l’enseignement dans le programme de l’ELCO » (p. 50), rappelle le document.
De ce fait, les enfants amazighs conçoivent l’arabe comme un « élément identi-taire » qui fait d’eux automatiquement des musulmans, sujets du monarque maro-cain, alors que la plupart d’entre eux (85 %) sont porteurs de nationalités euro-péennes.
Les objectifs de cet enseignement sont éloquents. Il vise à arabiser. Le rapport révèle que « les jeunes de l’ELCO utilisent plus l’arabe darija (dialectal marocain) pour communiquer pendant leur séjour au Maroc, que les non bénéficiaires de l’ELCO » (p. 49). Il ajoute aussi que les chaînes TV marocaines « sont regardées de manière plus prononcée par les jeunes de l’ELCO que par les non bénéficiaires de l’ELCO ».

Tamazight, la grande négation

Si le rapport ne préconise nullement l’apprentissage de la langue amazighe aux « enfants des MRE », il révèle que « l’usage de la langue amazighe, comme langue de communication au sein de la famille occupe une place importante » (p. 50). Le but de l’ELCO est, semble-t-il, d’éradiquer cet usage intensif.
Le document évoque pourtant la langue amazighe et précise que cette langue est dominante dans des foyers migratoires comme l’Allemagne et la Belgique car, précise le rapport, cette langue « correspond au parler des MRE issus de bassins migratoires comme le Rif et la région du Souss. Cette langue est ainsi parlée par 38,4 % des enquêtés lors de leur enfance, avec des différences notables entre pays (56,6 % en Allemagne, 41,2 % en Belgique et 18,4 % en France) » (p. 27). Nous estimons que ces chiffres ont été minorés pour des raisons idéologiques.
Tous les tableaux publiés dans cette enquête par échenillage révèlent une présence significative de la langue amazighe, mais rien n’est proposé pour la développer et la maintenir en vie en Europe.

ELCO, un dispositif dangereux et inadapté

Sachant que l’ELCO a été mis en place pour préparer les immigrés au retour, il paraît que la plupart de ces derniers ne souhaitent pas rentrer chez eux.
« Interrogés s’ils ont l’intention de retourner définitivement au Maroc, 74,7 % répondent par la négative. La majorité estime être bien établie dans le pays de résidence et seulement un quart (25,3 %) exprime le désir de retourner au Maroc. Ce désir de retour pourrait s’expliquer, d’après le rapport, par les thèses racistes et islamophobes qui s’affichent ouvertement en Europe ou par la crise économique et financière qui y sévit actuellement ou autres. Des différences existent parmi les répondants quant à cette question de retour : 12,1 % y seraient favorables en Allemagne, 32 % en Belgique et 29,7 % en France (…) On remarque une différence par genre lorsqu’il s’agit du retour au pays. Si 71,6 % des hommes ne souhaitent pas retourner au Maroc, les femmes sont un peu plus nombreuses (80,2 %) dans cette absence de souhait. L’interprétation que les femmes jouissent d’une liberté de mouvement et d’opportunité d’emploi plus conséquentes que dans le pays d’origine est-elle suffisante ? Seule une étude plus approfondie sur l’émigration féminine pourrait le confirmer » (p. 45). Si les femmes ne souhaitent pas rentrer, c’est, à notre avis, par ce qu’elles craignent justement que leur liberté soit remise en cause par l’idéologie islamique répandue dans leur pays d’origine.
L’ELCO, détourné de sa mission initiale par la monarchie marocaine, est l’un des rouages d’une machine d’arabisation et d’islamisation massives. Il empêche l’intégration des enfants issus des pays de l’Afrique du Nord dans les sociétés d’accueil. Ces enfants sont également endoctrinés par l’islamisme radical, ce qui fait d’eux des proies faciles aux groupes terroristes islamistes.

Nous rappelons que d’autres pays d’Afrique du Nord comme l’Algérie et la Tunisie envoient des enseignants d’arabe dans plusieurs pays européens. Au total, 48 121 enfants issus de ces pays apprennent l’arabe dans les écoles françaises dans le cadre de l’ELCO (banquedesterritoires.fr. 20 février 2020).
En 2000, un rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI) souligne que si la con-naissance de la culture d’origine est indispensable, sa méconnaissance fait souvent de l’islam l’unique référent identitaire. Ce rapport affirme également la nécessité de la promotion des langues minorées comme le berbère ou le kurde. Il souligne que le fait de ne pas prendre ces langues en considération relève de la discrimination.

Le 18 février 2020, le président français a dévoilé à Mulhouse, les premières pistes des actions qu’il compte engager pour lutter contre ce qu’il appelle « le séparatisme islamiste », à savoir la suppression de l’ELCO (maire-info.com, 19 février 2020). Il préconise la suppression « partout sur le sol de la République » des ELCO et leur transformation en EILE (enseignements internationaux de langues étrangères). « Le problème que nous avons aujourd’hui avec ce dispositif, c’est que nous avons de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français, qui ne le parlent pas du tout, de plus en plus d’enseignants sur lesquels l’Education nationale n’a aucun regard. Et je vous le dis en responsabilité, comme président de la République, je ne suis pas à l’aise [à l’idée] d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Education nationale puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent, c’est un problème. » Et Emmanuel Macron d’enfoncer le clou : « On ne peut pas enseigner des choses qui ne sont manifestement pas compatibles avec les lois de la République ou avec l’histoire telle que nous la voyons ».

Il est temps d’en finir. Reste à transformer les paroles en actions concrètes sur le terrain.

Aksil Azergui

source : Tamazgha.fr

Rédaction Amazigh 24
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