Comment sauver et développer la petite enfance amazighe au Maroc ?
Alors que les rapports de l'ONU estiment qu'il faudrait environ 100 000 professeurs pour enseigner l’amazighe aux 4,5 millions d’élèves du primaire l'Etat marocain ne prévoit que 180 postes d'enseignants sur l'année 2020. L'Assemblée Mondiale Amazighe interpelle la Banque mondiale sur cette discrimination raciale.
A l’aimable attention de :
- M. Ferid BELHAJ, Vice-Président de la Banque Mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord
- & M. Jesko HENTSSCHEL, Directeur Département Maghreb et Malte de la Banque Mondiale
Objet : Comment sauver et développer la petite enfance au Maroc
Messieurs,
La Banque Mondiale (BM), vient d’allouer l’enveloppe de 500 millions de dollars pour le financement d’un programme éducatif en vue d’améliorer la performance de l’enseignement préscolaire au Royaume du Maroc. Un programme ambitieux qui a été lancé le 10 octobre dernier, par les autorités marocaines, à Skhirat et qui vise le développement de la petite enfance, en généralisant l’éducation des enfants âgés de 4 à 5 ans à l’horizon 2027.
Laissez-moi vous affirmer que cet ambitieux et nécessaire programme sera, malheureusement et tristement, condamné à l’échec total, comme ce fût le cas du « programme d’urgence 2009-2012 » sous la responsabilité de l’ex-ministre Ahmed AKHCHICHENE et qui a gaspillé et/ou détourné scandaleusement le budget colossal de 3,3 milliards de dirhams! Pourquoi ?
Votre coordinatrice du programme de Développement humain, Mme Fadila Caillaud, a parfaitement raison de souligner que les élèves de 6 ans, lorsqu’ils arrivent à l’école primaire, ne maîtrisent pas les aptitudes à sociabiliser, à écouter et à comprendre la langue dans laquelle ils vont apprendre sachant qu’ils ne sont pas exposés à l’arabe littéraire (l’arabe standard) mais au dialectal (la darija). Mme Caillaud laisse entendre, inconsciemment, que les marocains sont tous des « Arabes ». Mais les recherches historiques, les récentes découvertes archéologiques, les données anthropologiques (physiques, sociales et biologico-génétiques) et des autres sciences humaines démontrent incontestablement qu’il n y a pas d’«Arabes » au Maroc, ni au Maghreb où il n’y a que des « Amazighs », dont certains conservent leur langue autochtone, à savoir la langue amazighe, et d’autres qui se sont arabisés au détriment de la « darija », à à la suite de leur conversion à l’Islam et surtout à la suite de la ‘‘politique d’arabisation idéologique’’ de l’école marocaine, entreprise à partir de l’indépendance et qui est à l’origine de sa ruine !
Ce qui est un fait évident c’est que l’échec continuel de l’école marocaine, depuis 1956, réside, en grande partie, à l’absence de l’enseignement de la langue maternelle, en faisant expressément fi des recommandations de l’UNESCO depuis les années soixante.
Du fait que votre programme s’inscrit dans la même ligne politique que les responsables ministériels marocains et le conseiller royal, M. Omar AZZIMAN, - qui se soucient des considérations idéologiques plus que de l’amélioration de l’apprentissage des enfants-, il est voué directement à l’échec. Votre programme va contribuer encore à accélérer le déracinement culturel des petits et à approfondir leur crise identitaire, en violant par conséquent les articles 7 et 8 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. Pire, il risque de contribuer à renforcer encore plus leur capacité de prédisposition à embrasser plus tard les thèses salafistes et djihadistes, comme je l’ai dénoncé à plusieurs reprises dans mes correspondances aux eurodéputés et à mesdames Audrey AZOULAY et Angela MERKEL .
Messieurs,
Je porte à votre connaissance que le dernier rapport onusien «A/hrc/41/54/ Adb.1», publié par les Nations Unies, le 28 mai 2019, au lendemain de la visite officielle au Maroc, de Mme. Tendayi Achiume, - rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée-, reconnaît de nouveau que le royaume du Maroc pratique une politique de discrimination raciale à l’encontre des Amazighs. Les Nations Unies recommandent, aux autorités marocaines : "d’intensifier les efforts pour faire en sorte que les Amazighs ne soient pas victimes de discrimination raciale dans l’exercice de leurs droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne l’éducation, l’accès à la justice, l’accès à l’emploi et aux services de santé, les droits fonciers et les libertés d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association".
Au lieu de changer de cap et de se conformer avec les recommandations onusiennes, surtout que le parlement marocain a adopté cet été la loi organique n° 26.16, concernant les étapes de l'activation du caractère officiel de la langue amazighe et sur la manière de l'intégrer dans le domaine de l'éducation et des domaines prioritaires de la vie publique, qui est entrée officiellement en vigueur, après sa publication dans le Bulletin Officiel sous le numéro 6816, le 26 septembre dernier, les autorités marocaines, et à leur tête le ministre de l’Education nationale, affichent clairement un manque notoire de volonté politique pour la promotion de l’amazighe.
Ainsi, dans le cadre de son projet de budget de 2020, pour l’intégration de l’amazighe dans les secteurs de l’enseignement, le ministre de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, M. Said AMZAZI, a prévu un nombre ridicule d’enseignants de la langue amazighe, soit 180 sur les 15.000 postes budgétaires dans le budget alloué à son département pour l’année 2020, qui s’élève à 59,45 milliards de dirhams. Alors que juste pour enseigner l'amazigh à tous les élèves de la première année du cycle primaire, il faudrait au moins 5.000 professeurs spécialisés en amazigh, sans parler du reste des années du primaire et de l'enseignement préscolaire, qui nécessite plus de 100.000 professeurs. Selon l’ONU : « D’après les informations recueillies, seuls 13 % des élèves d’écoles primaires suivent des cours de langue amazighe et, selon des estimations, il faudrait environ 100 000 professeurs pour enseigner l’amazighe aux 4,5 millions d’élèves du primaire. ». Mme. Caillaud avance, par exemple, pour le préscolaire d’ici cinq ans 20.000 à 60.000 éducatrices devraient être formées à la pédagogie du préscolaire.
Et en ce qui concerne le matériel pédagogique, la Fondation BMCE Bank pour l’éducation et l’environnement pourrait vous économiser le travail et mettre à votre entière disposition sa propre mallette pédagogique qu’elle a confectionnée, en recourant à des professionnels de l’éducation préscolaire de renom mondial et en organisant deux colloques internationaux sur le thème. J’ai eu l’occasion d’en offrir un exemplaire à l’actuel Chef du gouvernement. M. Said AMZAZI est bien conscient de sa cruciale importance du fait qu’il a confessé le 12 décembre 2018, que : « (…). La Fondation BMCE Bank est un partenaire institutionnel du Ministère de l’Education, avec lequel nous collaborons avec la plus grande fierté. C’est une institution qui a su s’imposer d’elle-même, d’abord par le rayonnement et la personnalité de sa Présidente, fervente adepte des causes sociales et humanitaires, mais aussi et surtout par l’intelligence et le bien fondé de ses approches. Car sans intelligence, même avec la meilleure volonté du monde, l’action sociale reste peu féconde… Intelligence d’avoir ciblé l’enseignement préscolaire, fenêtre d’apprentissage unique et déterminante, dont les retombées positives, nous le savons aujourd’hui, s’exprimeront jusqu’à l’âge adulte. Déjà en son temps, Sigmund Freud, le père de la psychanalyse nous disait « C’est l’éducation reçue dans la première enfance qui laisse la plus profonde empreinte »… Intelligence d’avoir valorisé la langue et la culture berbères (Amazighes), afin tout d’abord de s’adresser aux jeunes enfants qui quittent le giron familial dans leur langue maternelle, mais aussi parce que cette langue fait partie intégrante de notre identité et qu’il est bon, tout simplement, que nos enfants prennent pleinement conscience de toutes les composantes qui ont construit l’identité marocaine ».
Rappelant que la réussite scolaire de ces écoles communautaires Medersat.com affichent un succès presque de 100% à la fin du cycle primaire, presque 0% d’échec scolaire, alors que l’ancien ministre Rachid Belmokhtar reconnaissait que 78% des élèves qui terminent l’enseignement primaire à l’école public ne sache ni lire ni écrire bien (Assabah, 11/11/2015). Une expérience unique en Afrique du Nord, saluée par Bill CLINTON et qui vient d’être récompensée, récemment, ce 12 novembre dernier, par le centre de recherche Middle East Institute (MEI) de Washington (USA), en la personne de M. Othman BENJELLOUN et de son épouse Dr. Leila, en recevant le prestigieux prix « Visionnary Award », un trophée qui récompense des personnes ou des organisations pour leur travail remarquable et avant-gardiste à même de promouvoir la paix et la stabilité dans la région du Moyen Orient et d’Afrique du Nord.
En définitive, si vous voulez que votre programme ne soit pas condamné à l’échec et qu’il ait des résultats favorables et, par conséquent, réalise des progrès significatifs afin d’apporter de vraies solutions à la crise de l’école marocaine (- et par extension aux écoles des pays de toute l’Afrique du Nord), l’enseignement du préscolaire et de cycle primaire devrait incontestablement se baser sur les langues autochtones et maternelles, en l’occurrence sur la langue amazighe et la darija. Comme elle l’a souligné Mme Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, en cette année 2019, déclarée l’Année internationale des langues des peuples autochtones : « l’objectif de développement durable étant de « ne laisser personne de côté », il est essentiel que les peuples autochtones aient accès à une éducation dans leurs langues. C’est pourquoi, en cette Journée internationale de la langue maternelle, j’invite tous les États membres de l’UNESCO, nos partenaires et les acteurs de l’éducation, à reconnaître et à réaliser les droits des peuples autochtones». Sachant aussi que ce 7 novembre, la Troisième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé le projet de résolution «Droits des peuples autochtones», qui comprend notamment la proclamation de 2022-2032 en tant que «Décennie internationale des langues autochtones».
En vous demandant d’interpeller les autorités marocaines sur l’importance d’intégrer la langue maternelle dans votre programme éducatif, veuillez agréer, Messieurs, mes salutations les plus distinguées.
M. Rachid RAHA
Président de l'AMA
Photographie : Zouhair Massinissa Yuha - Congrès international : " Le Rif oriental dans l'histoire, l'archéologie et l'architecture - Nador 9, 10, 11,12 octobre 2019