Azawad, Wagner, AES : un « cocktail… Molotov » ?

Abdoulahi Attayoub

L’irruption du groupe de mercenaires russes Wagner dans la bande sahélo saharienne et la naissance de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) constituent des évènements majeurs dont le lien et les objectifs réels font l’objet de multiples interrogations quant à l’évolution de la situation politique et sécuritaire dans la sous-région. De plus le silence de la communauté internationale, devant les violations répétées des accords d’Alger entre les Mouvements de l’Azawad et l’Etat central du Mali, tranche avec le climat qui avait entouré leur signature et l’engagement de la Médiation à veiller au suivi de leur application.

Wagner, Azawad : le silence troublant de l’Algérie


La récente entrée du groupe de mercenaires Wagner à Kidal continue de susciter les interrogations car elle constitue un tournant dans le conflit qui oppose l’Azawad au pouvoir central de Bamako. En effet, cet épisode vient jeter davantage de flou sur l’agenda international et les alliances dans l’espace sahélo saharien. Il y a lieu de s’interroger notamment sur la position du grand voisin algérien eu égard à sa posture de chef de file de la médiation qui a parrainé depuis trente ans les différents accords de paix entre Bamako et les Mouvements de l’Azawad. L’Algérie, puissance régionale a toujours considéré le Nord du Mali et du Niger comme des territoires faisant partie de ses profondeurs stratégiques.
Wagner à Kidal met ainsi à mal la doctrine algérienne d’opposition à toute intervention ou présence militaire de puissances étrangères à ses frontières. Cette nouvelle évolution annonce-t-elle un changement dans la posture de l’Algérie ou constitue-t-elle un couac dans ses relations traditionnelles avec la Russie ? Quoi qu’il en soit, l’image de l’Algérie et son capital de sympathie auprès des populations locales risquent d’en prendre un sérieux coup et son rôle habituel de médiateur et de stabilisation aura certainement besoin d’être réactualisé.

Le silence de l’Algérie à propos des différents massacres commis sur des populations civiles à ses frontières par une milice étrangère louée par la junte au pouvoir à Bamako risque également d’entacher sa crédibilité comme acteur incontournable dans les processus actuels au Sahel. Compte tenu de son poids et de son engagement traditionnel comme médiateur dans ce conflit entre le Mali et l’Azawad, il est difficilement compréhensible qu’elle se soit désintéressée de l’application des « Accords d’Alger » alors même qu’elle avait joué un rôle déterminant dans le processus qui avait abouti à leur signature. La médiation internationale n’a même pas estimé nécessaire de réagir à la reprise des hostilités et à l’entrée des mercenaires du groupe russe Wagner dans la ville de Kidal, exprimant ainsi son désintérêt politique sur cette question et la faiblesse de son engagement à promouvoir une solution définitive à ce conflit qui dure depuis des décennies.

L’AES, l’espoir qui peut mener au chaos


La nouvelle alliance des Etats du Sahel (AES), fondée dans le but de permettre aux pays membres de mutualiser leurs moyens dans les domaines sécuritaire et économique viendrait ainsi pallier les insuffisances observées dans le fonctionnement des autres organisations sous régionales qui l’ont précédée. Néanmoins, son image souffre déjà d’un déficit de clarté dû certainement à la précipitation dans laquelle elle a été créée.

L’Alliance est née comme une réponse à un environnement perçu comme hostile dans lequel l’ennemi principal n’est pas clairement défini ; or, en l’espèce, les risques d’une confusion de genres pourraient facilement échapper dans un contexte dont les enjeux et les acteurs paraissent parfois entremêlés.

L’idée d’une alliance sahélienne est apparue en réaction à la double pression de la communauté internationale opposée par principe aux coups d’Etat et des courants populistes qui surfent sur un malaise réel né du caractère mal calibré des partenariats économiques et sécuritaires notamment avec la France.

En outre, l’AES commence à inquiéter par le sens que pourraient avoir ses premières prises de positions politiques. Elle semble inspirée des courants populistes ethnocentrés comme pourraient l’indiquer les jubilations exprimées par les juntes burkinabé et nigérienne à la suite de l’entrée de Wagner à Kidal.

Cela en dit long sur les véritables motivations de cette alliance qui semble davantage destinée à sauvegarder certains acquis post coloniaux au détriment d’une approche véritablement inclusive de la gouvernance de ces États. En louant les services de Wagner, la junte malienne n’avait pas pour objectif essentiel de combattre le « terrorisme » mais bien de porter un coup à la question politique de l’Azawad. Ainsi les aspects positifs qui pourraient être attendus d’une telle alliance risquent d’être ternis par les non-dits et les arrière-pensées qui transparaissent clairement dans les priorités affichées, porteuses des germes d’une conflictualité propice à l’enracinement des agents de déstabilisation.

En effet, dans ces trois pays, les systèmes politiques fabriqués et entretenus par la France depuis les indépendances ne parviennent toujours pas à se défaire de leur caractère ethnocentré. Les juntes militaires actuellement au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso semblent au contraire vouloir consolider cet héritage et éloigner ainsi toute possibilité d’une gouvernance inclusive. Il va de soi que le projet d’AES ne pourra prospérer que s’il intègre la diversité des communautés sahéliennes. Les dérives populistes en vogue actuellement dans les trois pays pourraient bien être fatales à ce projet en dépit de son caractère potentiellement innovant et porteur d’espoir. Afin d’éviter l’impasse politique et géopolitique constituant un ensemble de fausses solutions à de vrais problèmes, l’AES aura besoin d’une introspection pour apporter d’abord des correctifs aux dysfonctionnements de la gouvernance politique actuelle des États membres.

À y regarder de près, l’AES n’est pas à l’abri de n’être que l’embryon d’une nouvelle CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) dans ce qu’elle a de plus dysfonctionnel car les objectifs semblent en tous points similaires. Se pose par conséquent la question de sa pertinence et de sa valeur ajoutée en matière de stabilité et de développement. S’il se confirme que sa création ressort d’une stratégie d’influence impliquant d’autres mains invisibles, alors il est fondé de douter de sa capacité à atteindre les objectifs aujourd’hui énoncés, notamment en matière de souveraineté, et à rompre avec les pratiques mises en avant pour justifier de son hâtive création.

Eu égard aux réalités internes à chaque pays membre, en quoi l’AES pourrait-elle concerner les habitants de Diffa (Niger) ou de Tessalit (Azawad/Nord Mali) si elle devait se construire de manière fermée autour de certaines communautés du Liptako-Gourma ? En outre le fait que l’initiative de cette alliance soit portée par des régimes de transition affaiblit quelque peu sa légitimité à s’imposer à l’ensemble des territoires et des peuples des trois pays. Les non-dits pourraient apparaitre au grand jour et finir par achever la décomposition des systèmes actuels qui n’ont jamais su mettre en place des gouvernances convaincantes de leur viabilité en raison de l’absence de visions et projets politiques.

L’AES devra faire preuve d’un volontarisme plus inclusif sans quoi elle risquerait de porter les germes d’une dislocation des États actuels dont l’architecture a été imposée par la colonisation aux peuples du Sahel. Elle pourrait ouvrir la voie à une multiplication de « mini guerres civiles » dont aucune communauté ne sortirait indemne. Afin de prévenir tout risque de dérapage de ce projet, l’idée d’une confédération, voire d’une fédération, pourrait sembler séduisante si elle s’accompagne d’un projet politique garantissant de ne pas reproduire les mêmes travers qui ont fait l’échec de nos États dans leur forme actuelle. Pour convaincre de sa pertinence et couper court aux réserves, l’AES gagnerait à publier rapidement le projet politique à même de légitimer ses ambitions pour chacun des pays membres et pour la sous-région.

L’installation progressive du groupe de mercenaires russe Wagner dans le Sahel et la création pour le moins précipitée de l’AES montrent une volonté des juntes actuelles d’accélérer une reconfiguration des espaces d’influence dont la finalité pourrait être de protéger et pérenniser les régimes militaires mais aussi de se soustraire aux obligations du droit international.

Abdoulahi ATTAYOUB
Lyon (France) 7 décembre 2023

Abdoulahi Attayoub
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