Yennayer 2975 : désormais férié au Maroc, mais pour quel impact réel ?

Photographie Zaid Ouchna

La célébration de Yennayer, le Nouvel An amazigh, revêt cette année une importance particulière.

Demain, le Maroc a instauré Yennayer comme jour férié le 14 janvier, ce qui pourra marquer une avancée significative symbolique dans la reconnaissance des droits culturels des Amazighs.

Cette avancée et le double discours du Maroc restent à décrypter

Si Maroc a été pionnier en reconnaissant officiellement la langue amazighe en 2011, suite à une réforme constitutionnelle, les avancées concrètes restent encore marginales.

Bien que souvent présenté comme un modèle de stabilité dans la région, le Maroc est loin d’être exemplaire en matière de droits humains, en particulier en ce qui concerne les prisonniers politiques et la reconnaissance des droits des populations amazighes. Malgré certaines réformes programmées comme l'officialisation de la langue amazighe comme langue officielle dans la Constitution de 2011, les violations des droits fondamentaux et la marginalisation des Amazighs restent une réalité préoccupante.

Les membres du mouvement Hirak du Rif, qui ont manifesté pacifiquement pour des droits sociaux et économiques en 2016-2017, sont également emprisonnés, avec des peines allant jusqu’à 20 ans.

Le royaume marocain cultive aussi une image internationale de réformateur en matière de droits humains, mais cette façade masque des réalités internes complexes. Les prisonniers politiques et la marginalisation persistante des Amazighs montrent que les progrès affichés sont souvent symboliques et ne s’accompagnent pas de réformes structurelles profondes.

Les perceptions occidentales du Maroc sont souvent biaisées par une vision orientaliste et préconstruite, qui réduit ce pays riche et complexe à des images de cartes postales : les souks colorés de Marrakech, les kasbahs envoûtantes de l’Atlas, et les plages ensoleillées d’Essaouira.

Ce prisme culturel, soigneusement entretenu par les autorités marocaines, notamment à travers des campagnes de promotion touristique, masque une réalité bien plus nuancée, marquée par des inégalités sociales, des tensions politiques et des revendications identitaires étouffées.

Dans les régions amazighophones, les défis socio-économiques des zones rurales sont largement ignorés dans ce récit romancé. Ces zones, où les populations vivent souvent dans des conditions précaires, restent en marge des investissements et de l’attention médiatique. Ce Maroc invisible, loin des lumières de Casablanca ou des palais de Rabat, reflète une fracture profonde que l’Occident choisit d’ignorer, préférant s’extasier sur une vision exotique et simpliste du pays.

Des solutions variées pour une émancipation durable

Face aux aspirations des Amazighs dans tout le continent culturel, plusieurs modèles peuvent être envisagés pour répondre aux besoins locaux tout en favorisant une reconnaissance globale :

En dehors des revendications territoriales, des approches complémentaires sont envisageables pour renforcer l’identité amazighe dans toute l’Afrique du Nord :

Modèle institutionnel : reconnaître officiellement la langue et la culture amazighes dans les constitutions nationales, comme cela a été fait au Maroc, et garantir leur protection juridique.

Modèle éducatif : introduire l’enseignement du tamazight dans les systèmes éducatifs nationaux, assurant ainsi sa transmission aux générations futures.

Modèle médiatique : multiplier les médias amazighophones, renforçant la visibilité et la normalisation de la langue dans la vie quotidienne.

Modèle communautaire : encourager les initiatives locales et les associations qui œuvrent pour la préservation et la promotion de l’identité amazighe à travers des projets culturels et économiques.

Éclairage sur les différentes dynamiques à l’œuvre en Afrique du Nord

La Kabylie : une quête d’indépendance enracinée dans l’histoire et la modernité

La Kabylie, région montagneuse et historiquement rebelle, incarne depuis des décennies le cœur battant du militantisme amazigh.

Plusieurs mouvements tels que me Mouvement pour l'Autodétermination de la Kabylie (MAK), l'URK et bien d'autres militent pour l'indépendance, revendiquant le droit à un État kabyle souverain.

Les Kabyles dénoncent une marginalisation politique, économique et culturelle par l’État central algérien, et aspirent à un système politique qui valoriserait leur langue, leur culture et leurs institutions.

L’ indépendance de la Kabylie pourra servir de modèle d’autodétermination pour d’autres régions amazighes.

Le Royaume de Koukou, fondé au XVIᵉ siècle, est un chapitre important de l’histoire de la Kabylie et de l’Algérie. Il a joué un rôle central dans la résistance contre l'Empire ottoman, à une époque où d'autres parties de l’Algérie avaient accepté la domination turque. Loin d’être effacée, cette histoire est encore étudiée et mise en avant par des historiens et des militants kabyles qui cherchent à valoriser cet héritage.

L’histoire amazighe en général a souvent été marginalisée dans les récits historiques officiels algériens. Cette marginalisation n’est pas spécifique aux Kabyles, mais s’inscrit dans un processus plus large d’uniformisation culturelle post-indépendance. D'autres Kabyles, comme d’autres groupes amazighs, militent pour réintégrer ces éléments dans le patrimoine national algérien.

Il est important de souligner que les revendications kabyles ne sont pas dirigées contre les Algériens en tant que peuple, mais contre des politiques étatiques qui ont nié et marginalisé l'identité culturelle et linguistique kabyle.

La revendication d’indépendance en Kabylie ne se limite pas non plus à une seule voix ou à une unique organisation. Si le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) est aujourd’hui le principal porte-voix de cette aspiration, une partie des militants kabyles appelle à une pluralité de représentations et souhaite se libérer de l’hégémonie du MAK dans le débat indépendantiste.

Cette pluralité revendiquée est perçue comme un gage de démocratie et d’inclusivité, permettant à la diversité des opinions kabyles de s’exprimer dans la recherche d’un avenir politique commun. Pour beaucoup, l’indépendance kabyle doit être portée par un projet collectif, fondé sur la transparence, la participation citoyenne, et la valorisation des voix alternatives.

Ce débat interne témoigne de la maturité politique d’un mouvement qui cherche non seulement à s’affranchir de la centralisation étatique algérienne, mais aussi à garantir un avenir où la liberté d’expression et le pluralisme seront les piliers d’une Kabylie indépendante.

Le Mzab : entre autonomie et préservation culturelle

Le Mzab, situé dans le sud de l’Algérie, est habité par les Mozabites, un peuple amazigh de confession ibadite. Cette région est connue pour son architecture unique, son système social solidaire et son attachement à ses traditions.

Les Mozabites réclament avant tout une autonomie culturelle et économique, dénonçant la pression assimilatrice exercée par l’État central. Pour eux, l’autonomie locale pourrait garantir la préservation de leurs spécificités culturelles et religieuses dans un environnement de plus en plus homogénéisé.

Kamel Eddine Fekhar, médecin et fervent défenseur des droits humains, a consacré sa vie à la défense des droits politiques, culturels et religieux des Mozabites, une communauté berbère de rite ibadite établie dans la région du Mzab, en Algérie. Son engagement l'a conduit à dénoncer les discriminations et les répressions subies par sa communauté, notamment lors des violences intercommunautaires qui ont secoué Ghardaïa entre 2013 et 2015.

En raison de son militantisme, Fekhar a été arrêté à plusieurs reprises. En juillet 2015, il est emprisonné pendant près de deux ans, accusé notamment d'atteinte à la sûreté de l'État et de trouble à l'ordre public. Libéré en juillet 2017, il est de nouveau arrêté le 31 mars 2019, après avoir dénoncé la répression contre des militants mozabites. Incarcéré à la prison de Ghardaïa, il entame immédiatement une grève de la faim pour protester contre sa détention qu'il juge arbitraire.

Sa santé se dégrade rapidement en détention. Malgré les alertes de ses proches et de son avocat, Me Salah Dabouz, concernant la détérioration de son état, Fekhar ne bénéficie pas des soins appropriés. Transféré tardivement à l'hôpital Frantz Fanon de Blida, il décède le 28 mai 2019, après plus de deux mois de grève de la faim.

La disparition tragique de Kamel Eddine Fekhar en mai 2019 a laissé un vide immense dans la défense des droits des Mozabites.

Le Pays chaoui : un combat qui reprend forme

Les Chaouis, habitants des Aurès, revendiquent une plus grande visibilité de leur langue et de leur culture au sein de l’Algérie. Bien que le mouvement autonomiste soit moins structuré que celui de la Kabylie, des voix s’élèvent pour demander une reconnaissance institutionnelle accrue.

La promotion du patrimoine chaoui, y compris la langue tamazight dans sa variante chaouie, demeure une priorité. Les militants locaux plaident pour un modèle qui combine autonomie culturelle et développement économique régional.

Pour trouver leur voie, les Chaouis devront élaborer un militantisme adapté à leur contexte régional et à leurs aspirations, sans reproduire mécaniquement le modèle kabyle. Cela implique de construire un discours qui valorise leurs particularités et de mobiliser des forces locales pour structurer un mouvement cohérent, capable de s’affirmer tout en tenant compte des réalités de l’Aurès.

Une société sous verrou en Algérie

En Algérie, la répression s’est intensifiée ces dernières années, menant à l’incarcération de milliers de personnes pour des motifs souvent dérisoires. Les détenus d'opinion, parmi lesquels des militants, des journalistes, des défenseurs des droits humains et de simples citoyens, sont emprisonnés pour avoir exprimé une opinion critique envers les autorités ou pour avoir participé à des manifestations pacifiques. Une publication sur les réseaux sociaux, un slogan scandé lors d’un rassemblement ou même une simple participation à un débat peuvent suffire à valoir une arrestation et des accusations lourdes, allant de l’atteinte à l’unité nationale à l’incitation à la rébellion.

Ces arrestations arbitraires s’inscrivent dans un climat où la liberté d’expression et le droit à manifester sont de plus en plus restreints. Les procès sont souvent marqués par des irrégularités, et les accusés sont privés de leurs droits fondamentaux, comme un procès équitable ou l’accès à un avocat. La multiplication des cas d’emprisonnement pour des actions non violentes reflète une volonté des autorités d’instaurer un climat de peur et de dissuader toute contestation. Cette situation alarmante suscite l’indignation des organisations internationales de défense des droits humains, qui appellent à la libération immédiate des détenus d’opinion et au respect des droits fondamentaux en Algérie.

L’Azawad : une lutte pour la survie culturelle et politique

Dans le nord du Mali, l’Azawad, peuplé majoritairement de Touaregs, a proclamé son indépendance en 2012, bien que celle-ci n’ait pas été reconnue internationalement. Les Touaregs luttent pour la survie de leur mode de vie nomade, de leur langue et de leurs traditions dans un contexte de marginalisation et de conflits armés.

Leur quête d’autodétermination est souvent perçue comme un défi géopolitique majeur, mais elle reflète surtout une profonde aspiration à préserver une identité amazighe menacée.

En 2024, la situation des Touaregs au Mali s'est gravement détériorée, marquée par des actes d'épuration ethnique et l'élimination de figures clés du Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA). Les forces armées maliennes, appuyées par des mercenaires du groupe Wagner, ont intensifié leurs opérations dans le nord du pays, ciblant spécifiquement les populations touarègues et maures. Ces actions ont conduit à des déplacements massifs de civils vers les régions frontalières de l'Algérie, notamment à Timiaouine, Tin Zaouatine et Bordj Badji Mokhtar, où ils vivent dans des conditions précaires

Parallèlement, des leaders influents du MNLA ont été ciblés et éliminés. Le 1ᵉʳ décembre 2024, une frappe de drone près de Tinzawatène a tué huit cadres du Front de Libération de l'Azawad, dont Fahad Ag Almahmoud, ancien chef de la branche rebelle du GATIA, et Choguibe Ag Attaher, amenokal de la tribu touarègue des Idnanes.

La Libye : des avancées notables malgré les défis

En Libye, la situation des Amazighs a connu des évolutions significatives depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011. Sous l'ancien régime, la langue et la culture amazighes étaient sévèrement réprimées.

Depuis 2011, les Amazighs ont intensifié leurs efforts pour revitaliser leur langue et leur culture. Des initiatives locales ont permis l'introduction de l'enseignement du tamazight dans certaines écoles, notamment dans les régions de Jadu et Zouara.

Des associations culturelles, telles que le "Tamazight Center" à Tripoli, œuvrent pour la promotion de la langue amazighe. Cependant, la reconnaissance officielle de la langue amazighe au niveau national se fait encore attendre, et les Amazighs continuent de revendiquer leur inclusion dans le processus constitutionnel et politique du pays.

La Tunisie : entre identité plurielle et persistance du narratif arabo-musulman

Si le narratif officiel met l’accent sur son héritage arabo-musulman, de nombreux Tunisiens rappellent la richesse de leur patrimoine amazigh, méditerranéen et africain, souvent négligé dans la construction de l'identité nationale.

En Tunisie, l’héritage amazigh est souvent relégué au second plan. Les langues amazighes, comme le tamezret ou le sened, sont parlées par une minorité, mais elles ne bénéficient d’aucune reconnaissance constitutionnelle.

Reconnaître la pluralité des identités en Tunisie serait un pas vers une société plus inclusive et respectueuse de son histoire.

En Tunisie, plusieurs opposants politiques ont été arrêtés et emprisonnés, illustrant une répression croissante contre la dissidence.

La résistance à l'assimilation culturelle aux Canaries

En 2024, les Canaries ont continué à jouer un rôle de carrefour culturel entre l'Afrique, l'Europe et l'Amérique latine, mais la reconnaissance officielle de leur passé amazigh reste presque inexistante.

Des militants culturels et des universitaires ont redoublé d’efforts pour sensibiliser le public à cet héritage oublié. Des expositions, des conférences et des publications académiques ont cherché à rétablir le lien entre les Canaries modernes et leur passé guanche. Toutefois, le manque de politiques culturelles ciblées et la pression touristique restent des obstacles majeurs à une véritable réappropriation de l'identité amazighe dans l'archipel.

Siwa : le roc de la résistance face au rouleau compresseur de l’arabo-islamisme

L’oasis de Siwa, joyau du désert occidental égyptien, est un bastion culturel où la communauté amazighe locale lutte pour préserver son identité face aux pressions de l’arabo-islamisme. Malgré les tentatives de marginalisation culturelle, linguistique et religieuse, Siwa continue de résister avec une résilience remarquable.

Le rouleau compresseur de l’arabo-islamisme, symbolisé par une arabisation omniprésente et une uniformisation culturelle, s’est heurté à la richesse et à la singularité de l’oasis. La langue siwi, une variante du tamazight, demeure au cœur de la vie quotidienne, bien que menacée par l’absence de reconnaissance officielle et l’influence croissante de l’arabe. Les habitants continuent de célébrer leurs coutumes ancestrales, notamment lors de la fête de l’Union (Eid el-Solh), où les clans locaux se rassemblent pour réaffirmer leur cohésion sociale et culturelle.

Siwa ne se contente pas de survivre : elle incarne une résistance active. Les efforts communautaires pour revitaliser la langue, promouvoir l’artisanat local et préserver les traditions témoignent d’une volonté farouche de maintenir vivante l’héritage amazigh face aux forces uniformisantes de l’arabo-islamisme. Ici, le roc de l’identité amazighe demeure un obstacle infranchissable pour toute tentative d’effacement.

Jour férié au Maroc et après ?...

Sur place, peu d’associations amazighes marocaines ont véritablement amplifié cette reconnaissance du Jour de l'An amazigh décrété férié.

Ce silence peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment la prudence face aux pressions politiques internes et un manque de moyens pour porter ce type de revendication sur la scène publique.

Le contexte marocain, où les luttes amazighes sont souvent marginalisées, limite la capacité des associations à inscrire des événements comme Yennayer dans un cadre de revendications structurées et visibles, tant au niveau national qu’international.

Cette absence de retentissement met en lumière les défis auxquels fait face la communauté amazighe marocaine pour faire entendre sa voix.

Aujourd'hui les jeunes générations amazighes conscientes des enjeux et des insuffisances des luttes passées, aspirent à un militantisme moderne, axé sur l'innovation, l'inclusivité et l'efficacité. Cette génération montante, connectée et informée, pourrait adopter de nouveaux outils et transcender les obstacles traditionnels et les divisions internes.

Un effort collectif plus large sera indispensable pour faire de la question amazighe une priorité dans l’agenda mondial des droits culturels.

Par : Yufitran
Dans la catégorie :

Laisser un commentaire

Partager

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram