Les défis de l'internationalisation de la question amazighe

Pourquoi le Congrès Mondial Amazigh (CMA) suscite l’intérêt de tant d’Etats d’Afrique du Nord ?

Pourquoi cette obstination continuelle de récupérer ses membres, de les coopter, de les diviser, de les domestiquer, de les discréditer, de les banaliser… ?

Pourquoi les Etats arabistes, dictatoriaux et fascistes, ne veulent pas entendre parler de l’Internationale amazighe à l’étranger ?

Pourquoi cette sévère déclaration du ministre Khalid Naciri, porte parole du gouvernement marocain, (Assabahia, 17/3/2009), selon laquelle le CMA porterait atteinte aux intérêts suprêmes de royaume ? Comment peut-il se permettre de traiter deux de ces membres, en l’occurrence l’avocat Ahmed Adghirni et l’anthropologue Rachid Raha, de « déséquilibrés psychiques », (Al Massae 21/3/2009), lorsque ces derniers déposèrent un rapport détaillé aux Nations Unies sur la politique d’apartheid anti-amazigh ?

Pourquoi cette profonde manie du président algérien Abdelaziz Bouteflika de s’obstiner à interdire le rassemblement des imazighen du monde sur le sol algérien? Pourquoi Kadhafi, le dictateur déchu, suivait personnellement le dossier du CMA, à tel point qu’il réussit à l’époque à soudoyer certains de ses membres qui essaient aujourd’hui de se blanchir avec certains opposants libyens, proches du ministre des affaires islamiques marocain (voir Al Massae  14/10/2011)?

Pourquoi l’Etat français s’est infiltré au sein de ses rangs au point de bloquer les enquêtes sur la possibilité d’utilisation de la dite organisation à des fins de délit comme les malversations et l’émigration clandestine ?

L’une des premières réponses à ces interrogations réside dans la forme jacobine et centralisatrice de nos Etats, qui continuent à s’identifier à l’idéologie exclusiviste arabo-islamique et qui s’obstinent à contrôler tout mouvement de revendication à l’étranger. A travers leurs ministères respectifs des affaires étrangères (et leurs armées d’agents consulaires et d’associations d’émigrés satellitaires), ils essaient de contrôler tous leurs ressortissants et leur barrent la route chaque fois qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde que leurs discours officiels. Tout va bien pour le mieux dans les meilleurs des mondes... Il ne faut surtout pas essayer de remettre en question leurs rapports maquillés sur le respect des droits de l’homme et des conventions internationales.

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre le défi des militants amazighs d’avoir réussir à ouvrir de nouveaux canaux de communications avec les instances internationales (Nations Unies, Union Européenne, Etats étrangers…) en créant leur propre ONG internationale à savoir le Congrès Mondial Amazigh, en 1995. Le CMA, en dépit de toutes les critiques qu’on formule à son encontre, a réussi à appeler l’attention de la communauté internationale sur les flagrantes violations des droits humains des peuples, communautés et citoyens amazighs. Dans ce sens, et sans disposer vraiment de moyens humains ni financiers, le CMA a réussi que l’Union Européenne condamne l’Etat algérien, lors de son sommet de Göteborg, pour sa répression sanglante des jeunes au printemps noirs de 2001. Le CMA était devenu l’un des partenaires des Nations Unies durant sa décennie de discussion des droits collectifs des peuples autochtones, qui s’est soldée par l’adoption de la Déclaration Universelle des droits des peuples autochtones par l’Assemblée Générale des Nations Unies. (un.org/esa/socdev/unpfii/fr/drip.html) .

Un autre exemple, à l’actif du CMA, c’est le fait de dénoncer la politique institutionnalisée de la politique d’apartheid anti-amazighe de l’Etat marocain au sein du Comité de l’Elimination de toute forme de Discrimination Raciale (CERD), ce qui aurait, sans aucun doute, contribué à que celui-ci reconnaisse Tamazight comme langue officielle dans sa récente constitution.

Le grand problème de nos Etats autoritaires c’est cette nostalgie qu’ils ont des vieux temps lorsqu’ils réprimaient dans le sang des ressortissants et des communautés amazighes sans se soucier de la réaction de la communauté internationale. Et cela les aidaient parce qu’il n’y avait pas encore la globalisation, ni Internet et encore moins facebook ! Ainsi, ont-ils commis des assassinats politiques en toute impunité (Abbas Belkacem, Said Sifaw El Mahrouk, Boujemaa El Habbaz…). Ils ont massacré  des populations entières (Le Rif en 1958-59, la Kabylie en 1963, Azawad en 1963…) et cela se faisait sans que l’opinion publique international s’en rende compte et s’en émeuve.

Maintenant, les choses ont bien changé et on vit tous dans un même village planétaire. Une simple bavure des autorités, qu’elles quelles soient, est rapidement diffusée sur le réseau Internet à des milliers, voire des dizaines de milliers d’internautes, malgré le fait que nos Etats aient réussi à domestiquer la majorité de leurs mass media, qui leur font le sale boulot en passant sous silence les violations des droits humains !

Tout militant amazigh, qui voudrait s’engager dans ce noble combat internationaliste, qu’il faut redynamiser et renforcer plus que jamais, en faveur de la défense des droits et des intérêts des peuples amazighs, devrait prendre en considération au moins trois éléments essentiels.

- Les critiques les plus dures qu’on a reçu en tant que défenseurs de l’amazighité c’est d’être traités de « collabo » des régimes occidentaux. Je me rappelle par exemple que lorsque j’ai eu l’occasion de critiquer l’un des plus influents conseillers de José Luis Rodriguez Zapatero, le premier ministre espagnol, pour la complicité de l’Etat espagnol en raison de son silence envers les violations des droits des amazighs (tout à fait le contraire de ce qui se passe avec les sahraouis), à l’université de Malaga, une intellectuelle marocaine m’avait reproché de sortir notre « sale linge » devant les espagnols !

Alors que là, la vraie collaboration tient à se taire lorsque des agents de la DST marocaine ou de la DRS algérienne kidnappent des ressortissants sans ordre judiciaire et en toute illégalité. Se taire c’est d’être des collabos avec les bureaux du Makhzen et des généraux algériens, maliens et nigériens, des fils de Kadhafi qui n’arrêtent pas d’innover dans les moyens de la torture la plus abjecte. Se taire c’est être complice de ces grands voleurs aux postes clés de l’Etat qui exproprient d’immenses terres collectives des tribus amazighes…

Lors d’une autre occasion, j’ai interpellé M. De Villepin, lors d’une conférence de presse à Rabat, lorsqu’il était ministre des affaires étrangères. Alors, que je lui avais demandé pourquoi l’Etat français n’investissait rien dans les anciennes régions sous protectorat espagnol comme le Rif, Sidi Ifni ou le Sahara. Sa réponse fut que les priorités étaient dictées par le gouvernement marocain.

Taire cette discrimination manifeste en ce qui concerne le développement des régions amazighophones c’est comme être complice du fait que l’argent des impôts des citoyens français et (occidentaux), destiné à la coopération, soit détourné vers des comptes suisses, au lieu de bénéficier aux populations sinistrées du séisme d’Al-Hoceima ou des filles et femmes rurales d’Anfgou.

- Le deuxième élément à prendre en considération sérieusement dans tout militantisme à l’international c’est la langue de travail. Depuis la création du CMA en 1995 et jusqu’en 2008, on s’est rendu compte que tous nos rapports étaient élaborés fondamentalement en langue française, ce qui limitait sa portée aux responsables des pays francophones (la France et la Belgique wallonne). Un sénateur belge nous avait confessé, lors de notre mission en 2007 à Bruxelles, que du fait qu’il nous reçoive chez lui, en tant que délégation du CMA, on allait le priver de la générosité marocaine de « la Mamounia » à Marrakech, le lieu privilégié des diplomates français.

Du fait de leurs énormes intérêts néo-colonialistes économiques en Afrique du Nord, surtout au Maroc, les politiciens français ont souvent le réflexe de classer les dossiers gênants dans leurs tiroirs. Afin d’apprécier l’importance de la langue, on peut retenir, par exemple, les événements de Sidi Ifni. Les associations marocaines des droits de l’homme (comme l’AMDH et l’OMDH…) ont toutes élaboré des rapports complets de toutes les atrocités des autorités marocaines envers les citoyens de la dite localité. Tous ces rapports étaient écrits en langue arabe et en fin de compte il s’est révélé que tout ce colossal travail d’enquête sur le terrain était comme destiné qu’à la seule consommation interne, réservé à la seule opinion publique marocaine, sans de vrais répercussions internationales, ni au sein des Nations Unies, ni au sein du parlement européen. Eh ben, laissez moi vous confesser que cette simple image ci-dessous a interpellé mieux que tous ces rapports élaborés par les ONG précitées, simplement du fait que la légende est écrite en langue anglaise, et qu’elle est tombée aux mains des eurodéputés danois, suédois, anglais, irlandais,…et aux mains des ONG internationales, qui ne se taisent jamais sur les violations des droits de l’homme, et encore moins des femmes ! Pour eux, les droits de l’homme sont indivisibles et universelles et ils ne pourront jamais tolérer de parler d’aucune « exception marocaine », ni algérienne, ni mauritanienne, ni libyenne, …
 

Torture Torture

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Le troisième élément au sujet duquel j’aimerais appeler l’attention de nos nouveaux jeunes militants internationalistes, qui s’investissent désintéressément à la défense de la cause amazighe, c’est le jeu incontournable de la « division ». Lorsqu’une organisation dérange un de nos Etats, elle est vite la cible de la division, provoquée par les services et les agents de renseignement. Si nos régimes nord-africains arrivent à se reproduire et à se maintenir en états dictatoriaux c’est parce qu’ils sont maître dans l’art de « diviser pour régner ».

Tant qu’on n’aura pas de régimes réellement démocratiques, qu’ils soient monarchiques ou républicains, qui croient qu’une vraie opposition fait partie intégrante et inéluctable du jeu démocratique et qu’elle a droit à l’alternance, le jeu de la division sera toujours de mise. Malika Matoub nous confessait qu’elle avait eu la chance de créer une fondation familiale au nom de son frère, le défunt chanteur  Lounès Matoub, - dont l’enquête de son assassinat politique traîne toujours-, sinon le régime algérien aurait réussi à créer une autre fondation en faveur du régime. C’est malheureusement comme ça que nos régimes tiers-mondistes affrontent nos organisations (sociales, syndicales, des droits de l’homme…) et nos partis politiques.

Un certain H. Hellu l’expliquait bien dans un commentaire sur Kabyle.com, même s’il se trompait complètement quant à la critique de ma personne : « C’est un moyen de casser une organisation indépendante (association, syndicat…) qui consiste à semer la confusion à l’intérieur et à l’extérieur de celle-ci. La démarche est simple : l’Etat constitue ou favorise la constitution à l’intérieur de l’organisation autonome qu’il souhaite casser, une « dissidence » qui débouchera sur une scission c’est-à-dire l’éclatement de l’organisation visée, en manipulant les membres les plus opportunistes ou les plus fragiles de cette organisation, par la technique de la carotte (corruption, promesses) ou du bâton (la menace, la peur). Le risque « dissidence » au sein des organisations autonomes est un phénomène ancien et connu et qui doit être pris en compte dans la stratégie de chaque organisation car son but est de les détruire ou au moins de les neutraliser. La technique du « clonage » est très dangereuse car elle peut s’avérer efficace. Elle tend à faire croire que certains « militants » ne sont plus d’accord avec la ligne officielle de leur organisation (jugée trop « radicale » ou trop « molle » ou tout autre motif), ce qui justifierait leur décision de « rectifier le tir » en pratiquant une opération de « redressement ». Il s’agirait alors, avec la complicité des services de l’Etat et des médias proches du pouvoir, de mettre au-devant de la scène, le « nouveau » groupe, prêt à tous les compromis avec le gouvernement. Pour convaincre le grand public, ce groupe mettra en scène des initiatives « ultra-radicales » qu’il sait par avance qu’elles seront vouées à l’échec. Ce qui aura pour effet d’affaiblir l’organisation visée et de décourager le volonté des citoyens de s’organiser et de résister ».  Et c’est effectivement ce qui se passe d’habitude avec les mouvements amazighs. Et c’est ce qui s’est passé avec le Mouvement Culturel Berbère algérien (MCB Coordinations nationales, MCB Commissions Nationales), avec le mouvement citoyen des Aarchs (les dialoguistes et non dialoguistes), avec l’organisation marocaine de Tamaynut en se scindant en deux avec la création de l’Azetta Amazighe pour la Citoyenneté de la part d’un avocat très proche d’un dirigeant du PAM, ce qui en train de se passer avec le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (le MAK), et ainsi de suite. Et forcément le CMA ne fait pas du tout exception. Avant, on parlait du CMA de Lyon contre le CMA de Bruxelles (avant que la justice française tranche en faveur du premier) et maintenant le CMA de Tizi Ouzou contre le CMA de Meknès (dans l’attente d’un verdict de nouveau de la justice). A propos du CMA, si la première scission était l’œuvre de l’entourage de Mahjoubi Aherdan, du Parti Populaire, qui voulait s’accaparer du CMA sous le règne de Hassan II, avec la complicité du défunt et omnipotent ministre de l’Intérieur Driss Basri, sous le règne de Mohamed VI, c’est l’entourage de Fouad Ali El Himma du Parti Authenticité et Modernité (le PAM) qui s’est chargé de la rencontre tantôt de Meknès (octobre 2008) et celle de Djerba (fin de septembre et début d’octobre).
 
Alors que faire ? Avec ce dilemme de « la division », il faut une fois pour toute s’y faire et faire avec. Avoir à l’esprit de l’accepter comme un mal mineur avec lequel il faut y vivre, sans lui donner l’importance ni la dimension d’un cancer qui pourrait nous ronger et nous emmener à la mort. Ce qui est pire ce sont ces prétendus militants amazighistes qui tombent facilement dans le piège de la « division » et qui ne s’impliquent dans aucun camp sous prétexte de préconiser une neutralité. Avant, ils disaient « ni Lyon ni Bruxelles », « ni Tizi Ouzou ni Meknès » et certains avaient commencé déjà à brandir l’idée de « ni Souss ni Tunisie » ou ni « Agadir ni Djerba » ! Et là, ils ont vraiment tort, parce qu’ils sont tombés dans le piège et affaiblissent ainsi leur organisation internationaliste en restant à l’écart au lieu de faire face aux régimes dictatoriaux qui les répriment et les colonisent !

Et ce que devrait comprendre tout le monde c’est que la division sera toujours de mise du fait que notre forme d’organisation sociétale et tribale est de type néo-segmentaire ce qui aide immanquablement à la dite scission (Voir la publication de David M. Hart et Rachid Raha: La Sociedad bereber del Rif marroquí: sobre la teoría de segmentariedad en el Magreb; Ed. C.I.E. Ángel Ganivet y Universidad de Granada, Granada 1999). Et c’est pour cela qu’il ne faut pas du tout rester éternellement emprisonné par des conflits de « guerre civile » entre nous.

Dernièrement, il y a eu le lancement d’un « faux » débat d’union et de réconciliation entre les deux supposées tendances du CMA. Supposons que ces tendances profondément antagonistes et contradictoires arrivent à s’entendre et à s’unir sur un même CMA ! Il va sûrement s’en suivre, inéluctablement et juste, après une nouvelle division, du fait que les germes de la dite division y seront toujours présentes à cause du manque d’autonomie politique de certains soi-disant militants amazighs. Et nous serons toujours la risée de nos régimes dictatoriaux. Alors comment sortir de cet état de fait ?

Il faut juste avoir la détermination de changer de mentalités. Il faut se débarrasser une fois pour toute de cette idée d’uniformisation, d’homogénéisation obligatoire héritée de l’idéologie unitariste baathiste et la contrecarrer avec l’idée de la diversité, chère à nos traditions en tant qu’imazighen. Et n’oublions pas qu’avec l’idée de « alwahda », « alwahda » et « alwahda » nos ennemis ont réussi à nous marginaliser et à casser nos valeurs de liberté, de laïcité et de démocratie. Ainsi, au lieu d’avoir une seule ONG amazighe internationale, un seul CMA, il vaut mieux finalement en créer plusieurs selon les affinités et les réseaux des uns et des autres. Comme ça, il sera plus difficile à nos Etats de les domestiquer, de les récupérer et de les déstabiliser tous, et en plus, un travail de compétition entre elles ne ferait qu’accentuer notre présence sur la scène internationale, et par conséquent mieux sensibiliser l’opinion publique internationale de nos problèmes. Quitte à ce que, lorsque cela sera possible, il y ait une coordination ou confédération entre elles, pourquoi pas.

En définitive, cela permettrait de dénoncer plus efficacement nos régimes obsolètes à cette opinion publique mondiale de l’interdiction des prénoms amazighes, de la confiscation des terres collectives (Azaghar, Jbel Aouam, Imedder à Tinghir…), de la répression des manifestations pacifiques (Mouvement du 20 février, événements de Berriane à Ghardaya…), de l’interdiction des activités des ONG et des partis politiques amazighes (comme le PDAM), de la  condamnation des étudiants amazighs (comme les prisonniers politiques Mustapha Oussaya et Hamid Adouch), de blocage de la généralisation de l’enseignement de l’amazigh, de l’absence de l’utilisation d’interprètes dans les tribunaux et les administrations, la destruction du patrimoine amazighe et ainsi de suite.

Un travail multiple et divers d’ONG internationalistes aurait pour résultat que le renforcement de nos engagements militants en faveur de la consolidation démocratique de nos Etats de Tamazgha et de la libération de notre millénaire grand peuple amazigh !

Par Rachid RAHA
Anthropologue, ex- président du CMA

Rachid Raha
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