La Constituante partout et maintenant

La vague qui déferle avec des rythmes et de modalités différentes, du Maghreb au Moyen-Orient et au delà, n’est pas arabe, musulmane ou islamique mais révolutionnaire, c’est-à-dire porteuse des valeurs universelles. Marquons quelques caractères communs à ces soulèvements :

−l’occupation de l’espace public par le peuple : la jeunesse, les chômeurs, les hommes et les femmes, toutes professions et catégories sociales confondues ;

−le refus d’accepter la misère, le chômage, l’absence de toutes les libertés, le pillage du pays par une couche de prédateurs, corrompus, incompétents et arrogants, l’opacité des régimes, l’oppression multiforme et le pacte établi entre les tenants du pouvoir et les islamistes chargés du contrôle politique, social et moral de la société.

−les revendications pour une vie meilleure : l’emploi, les salaires, le logement, les libertés d’information, d’expression et d’organisation, l’éducation, la santé et la culture.. Formulées de façon différentes, elles constituent néanmoins les éléments d’un véritable programme politique.

−le mot d’ordre qui donne force et cohésion à ces luttes qui se développent de façon tumultueuse et dans un désordre apparent (cas de la Libye) est partout celui d’une Assemblée Constituante. Cela implique l’éradication et non le replâtrage des régimes existants, la dissolution de tous les Parlements, Sénats, Conseil des Sages ou Constitutionnels, de la police politique, des milices et des structures d’encadrement des masses (partis et syndicats), la laïcité de l’État, le retrait de l’armée du champ politique, la réduction de ses effectifs, son contrôle par le pouvoir civil et son assignation à une seule fonction : la défense du pays.

− la formation d’un gouvernement provisoire chargé d’organiser des élections libres à une Assemblée constituante, chargée d’élaborer une Constitution validée par un referendum. C’est ce processus que « Rosa Luxembourg a parfaitement analysée dans « Grève de masse » −une étude sur la révolution russe de 1905 −, qui se déroule dans tous les pays, du Golfe à l’Atlantique.
Au Maroc

Au Maroc, pendant les manifestations massives, le mot d’ordre central n’était pas celui d’une République mais la transformation de la dynastie alaouite qui revendique une lignée directe avec le prophète Mohamed en une monarchie aux pouvoirs purement honorifiques, à l’image de celui des souverains d’Espagne ou de Grande Bretagne.
En Tunisie

En Tunisie, la phase de transition qui a suivi la chute de Ben Ali a été marquée par la formation, le 15 janvier, d’un gouvernement autour du premier ministre Mohammed Ghannouchi. Le 27 janvier, sous la pression des manifestants, les six ministres appartenant à l’ancien parti du pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) démissionnaient des postes clés qu’ils détenaient : défense, intérieur, finances, affaires étrangères. Le 13 février, la démission d’Ahmed Ouneies, ministre des affaires étrangères était suivie de celle du premier ministre Ghannouchi et des deux derniers ministres ayant appartenu à un gouvernement Ben Ali puis, le 1er mars, de celle de quatre ministres et secrétaires d’État.

En six semaines, ce processus de détricotage et d’épuration de tous les rouages du régime de Ben Ali : Parlement, police politique, RCD, administrations, médias, entreprises, banques et appareil de l’UGTT lié au pouvoir, a abouti à l’allocution télévisée faite le 3 mars par le président par intérim Fouad Mebazaa, d’organiser des élections le 24 juillet pour former « une Assemblée nationale constituante » chargée d’élaborer une nouvelle constitution. «Nous proclamons aujourd’hui, a-t-il dit, l’entrée dans une nouvelle ère [...] dans le cadre d’un système politique qui rompt définitivement avec le régime déchu. L’actuelle Constitution ne répond plus aux aspirations du peuple après la révolution et constitue un obstacle à des élections transparentes ».
En Algérie

En Algérie, dans la mémoire collective des populations, le mot d’ordre d’Assemblée Constituante reste vivant. Parce qu’il occupait une place centrale dans le programme de l’Étoile Nord-Africaine (ENA) et du Parti du peuple algérien (PPA). En 1943, après sa rencontre avec Messali Hadj en résidence surveillée à Chellala, Ferhat Abbas accepta d’intégrer dans son Manifeste, un « additif » qui préconisait la tenue d’élections libres à une Assemblée Constituante Souveraine à l’issue de la guerre. C’est sur ce mot d’ordre de Constituante que les masses algériennes se sont mobilisées dans le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) jusqu’au Congrès des AML de mars 1945, où les thèses du PPA ont été massivement adoptées et Messali Hadj proclamé « chef incontournable du peuple algérien ». Après la répression de mai 1945, la Constituante fut plébiscitée par les Algériens pendant les élections municipales de 1947 et elle a constitué l’enjeu principal dans la lutte entre « messalistes » et « centralistes » pendant la crise du MTLD en 1953-1954. Pendant la guerre d’indépendance, le MNA a placé la Constituante au coeur de son programme. À l’opposé, le FLN s’est proclame seul détenteur de la souveraineté nationale, sans passer par des élections à une Constituante et c’est le GPRA qui signera les Accords d’Évian.

Après le départ massif des Européens, l’implosion du FLN, du GPRA et du CNRA, l’évaporation de l’Exécutif Provisoire, la confrontation entre l’armée des frontières, structurée comme une armée prétorienne et l’ALN qui avait porté tout le poids de la guerre de libération, tous les mythes fondateurs du FLN s’effondrent et les Algériens se retirent du champ politique. C’est dans ce contexte que Ben Bella, soutenu par le général de Gaulle, Nasser et Boumediene prend le pouvoir. Confisqué de manière formelle par Ben Bella et de manière réelle par Boumediene, le pouvoir ne sera jamais l’émanation de la volonté populaire et aucun point du programme
nationaliste ne sera appliqué.

Dans le moment de la vague révolutionnaire actuelle, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que, à la veille du cinquantenaire de l’indépendance du pays, le peuple algérien dans la diversité de ses composantes sociales, politiques et culturelles est en train de renouer avec son passé, celui de l’Algérie de 1954, qui a suivi le congrès de refondation du MTLD à Hornu. Bouteflika et ses parrains américains, arabes et occidentaux, devraient comprendre cela, car si les Algériens reconstituaient les wilayas, l’ALN et un conseil inter wilayas, faisant fonction de gouvernement provisoire installé à Sétif, au coeur de la Berbérie millénaire, avec la Constituante comme programme, le régime de la dictature serait balayée en quelques jours et la nation algérienne serait enfin fondée sur les principes de la démocratie sociale et politique, celle inscrite dans le programme de l’Etoile nord- africaine et du PPA, créé par Messali Hadj et Abdallah Filali le 11 mars 1937.

Jacques SIMON, Historien
11 mars 2011

Rédaction Amazigh 24
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