Interview du militant politique rifain Rachid OUFKIR
Rachid OUFKIR, militant politique rifain, revient minutieusement et en détail dans cette interview sur l’actualité politique rifain. Entretien réalisé par :: Amar BENHAMOUCHE.
Amazigh 24 - Kabyle.com : Pouvez-vous nous donner un éclairage sur la question rifaine d'un point de vue historique ?
Rachid Oufkir : Oui, volontiers. Le RIF est en perpétuel mouvement. Il vit des moments de ferveur collective, j’y vois à titre personnel un éternel retour du passé, dans le présent, quand je pense cela, je ne fais pas dans l’anachronisme ! L’irruption dans l'actualité de la question rifaine en cette fin de 2016 début 2017 est une affirmation d’un projet politique rifain autonome et d’une spécificité qui se confond avec l’aspiration inébranlable à la «modernité». On ne peut comprendre ce qui a permis cette transformation sans une mise en perspective historique et un rappel nécessaire et bref.
Au-delà d’une simple indignation suite à l’assassinat de Mohcine FIKRI, cela tient à l’Histoire du RIF qui a mêlé une lutte constante contre le colonisateur espagnol et à la nature des rapports exécrables de frictions, de tensions, voire de défiance ouverte entre le RIF et le pouvoir centralisateur et jacobin de Rabat, la répression de la période Hassan II qui a régné en monarque absolu (1958-59, 1984, 2011). Plus globalement je dois rappeler que le RIF, en tant que territoire historique et géographique a été marqué par de grandes invasions, d’incessantes conquêtes qui a entrainé la résistance et l’émigration ou plutôt la déportation. Dominé tour à tour par les puniques, les Romains, les arabes, espagnols, le RIF possède une histoire particulièrement tourmentée, à l’égal de la plupart des peuples berbères et ceux de la méditerranée. Il a été le bastion de la résistance armée, la patrie de la guérilla, de la bataille d’Anoual et inspirateur de la création de l’étoile nord-africaine en 1926.
Le RIF a toujours été de toutes les luttes et résistances avant-gardistes pour une Afrique du nord authentiquement émancipée notamment grâce à son peuple vaillant à son président, unificateur des luttes nord-africaines et fondateur de la lutte anti-impérialiste au vingtième siècle. C’est bien cette lutte incessante farouchement menée contre ses conquérants qui a façonné l’âme de ce peuple.
C’est donc naturellement que les rifains perpétuent en 2017 cette bataille politique aux enjeux importants pour le RIF et la région où ils y tiennent à s’exprimer sur leur avenir. Cela peut expliquer la violence du ton de certains slogans, l’apparition des mouvements autonomistes et indépendantistes appelant de leur vœu, au fond, à une autodétermination.
Le RIF présente une histoire marquée par des spécificités : sa propre culture, sa langue, son histoire, et ses propres mythes, icones, et symboles. Toutes enracinées dans l’histoire et dans la société locale. Que ce soit dans les discours, ou dans la production littéraire oral et écrit, on peut toucher un refus catégorique d’un système hégémonique inique marqué par une dérive policière, affichant une tendance à nier effrontément l'identité de tout un peuple, un système qui ne rate rien pour porter atteinte à leurs droits fondamentaux, et d’autre part, une volonté des rifains de s’émanciper de la tutelle de l’Etat marocain. Les rifains pensent que l’économie de leur région est freinée par son appartenance au Maroc, conçu comme un facteur de blocage, ils pensent qu’il est assez dynamique pour s'en sortir tout seul, voire pour devenir un poids lourd économique.
Depuis plusieurs mois le Rif vit un climat de violence et de guerre orchestré par le makhzen marocain contre la population rifaine. Quel constat que vous pouvez faire ?
Que les hautes autorités marocaines ont décrété la realpolitik donc les rapports de force pure et simple dans leur traitement avec les rifains, qu’elles veulent à tout prix broyer , briser la contestation, et s’emploient par tous les moyens possible de semer les tensions, la diabolisation, le pourrissement de la situation sécuritaire, cela bien évidemment ne fait qu’alimenter le cycle infernal de la violence et instaurer la haine, l’animosité et la mauvaise foi envers le RIF qui, rappelons-le, est une constante nationale marocaine. Les dernières interventions musclées en date de l’appareil répressif marocain ressemble à bien des égards à un climat aux allures d’une guerre civile envers le RIF et sa population ! l’Etat marocain oppose systématiquement une réponse militaire à toutes les formes de résistance légale et au combat politique pacifique d’un mouvement d’essence pacifiste mais robuste car basé sur des principes et des valeurs, qui prône la non-violence et fait prévaloir des principes universels. Les hautes autorités de l’Etat marocain sont prêtes à mettre le RIF à feu et à sang pour le plonger dans une situation de guerre civile et asseoir ainsi leur pérennité et leur légitimité auprès de l’opinion publique rifaine, marocaine et internationale.
Ma conviction est que cette violence sans nom et cet acharnement contre le peuple rifain est tout simplement un camouflet très mal vécu par le régime marocain. D’autre part, la question rifaine occupe une place centrale dans toute analyse de la situation en Afrique du nord et au Maroc en particulier malgré tous les efforts marocains pour la faire oublier, la question rifaine reste entière, elle ne disparaîtra pas de sitôt, elle est irrévocable et sa non-résolution constitue une bombe à retardement.
Ces opérations de déploiement massif de l’armée marocaine dans la province d’Al Hoceima notamment ont pour seul but de faire croire à l’opinion marocaine et internationale que le RIF est un bastion d’instabilité et d’insécurité qui justifie ainsi sa militarisation à outrance. Je dois rappeler que cette province fait l’objet d’un dahir royal qui date de 1958 et fait d’elle une région militaire avec tout ce que cela implique en termes de présence militaires, de check points, de contrôle etc…une situation qui rappelle littéralement un pays sous colonisation !
Les pouvoirs militaires marocains entendent par cette démarche terroriser la population, afin de la dissuader de toute volonté de révolte ! D’autre part ce qui se passe résume assez bien quelques-unes des grandes caractéristiques de ce peuple et son rapport à l’Etat Maroc qui se veut hostile. Malgré toutes ses souffrances, le peuple rifain résiste toujours de manière non-violente à la répression marocaine.
Les rifains ne font que perpétuer et rallumer la flamme d’un combat unitaire contre toutes les formes de domination intérieure, qui se veut structurelle et institutionnalisé. C‘est la marque d’une conscience culturelle et politique rifaine forte.
Chez les rifains il y a une fierté du territoire de la langue, la culture et 'Histoire et le sentiment national rifain y demeure fort. L’identité rifaine qui a bien résisté est visible et palpable, Elle s'entend, se voit et se vit. Elle ne se résume pas au folklore, elle est revendicatrice. La preuve en est ce mouvement politique.
Enfin, la cohabitation des rifains avec le régime marocain est devenue difficile, car ces deux logiques sont irréconciliables. Dans le RIF le makhzen est compris comme une entreprise coloniale avec ses intérêts et ses convoitises menée avec l’aide des occidentaux.
L'immense majorité de la population rifaine se sent en phase avec cette affirmation, et nombreux sont ceux qui voudraient couper volontiers le cordon avec un Etat dépassé et discrédité et se doter d’institutions propres.
La diaspora rifaine (France,Belgique, Hollande, Espagne) a joué un rôle important depuis l'assassinat du jeune, Mouhcine FIKRI, en organisant des manifestations et des rassemblements dans les grandes villes de ces pays, mais le résultat, aucune réaction des pays occidentaux ! Comment réagissez à ce fait ?
Que les rifains n’ont pas fait assez pour atteindre cet objectif, aussi ils se doivent de redoubler d’efforts pour faire réagir les Etats occidentaux, et en particulier les organisations européennes. Cela doit rester un objectif stratégique. Les acteurs rifains de la diaspora se doivent de travailler à attirer l’attention de la communauté internationale sur la réalité politique rifaine et mener un dialogue de haut niveau à ce sujet. Ils doivent s’employer à inviter des décideurs, les législateurs au plus haut niveau, les organisations internationales et les pouvoirs publics de leurs pays d’hôte respectifs à porter la question rifaine à l’échelon supérieur du débat politique.
Je dois souligner qu’un député néerlando-rifain membre du parlement hollandais a déjà évoqué la question rifaine au sein du parlement néerlandais, et organisé un voyage dans la province d’Al Hoceima pour s’enquérir de la situation. Je tiens à relever tout de même la contribution, l’engagement, la détermination et le rôle catalyseur de la diaspora dans l’internationalisation de la question rifaine qui est certain et demeure indéfectible. La diaspora rifaine occupe une place grandissante sur la scène politique participe à un débat d’idée, de stratégie, et apportent des analyses et réflexions précieuses lors des réunions physique ou virtuel sur les réseaux sociaux et l’actualité politique rifaine suscite un engouement intense et un intérêt vif auprès des membres de la diaspora rifaine.
L’assassinat tragique de Mohcine FIKRI broyé dans une benne à ordures fin octobre 2016 a suscité la réaction de la diaspora rifaine un peu partout via une multitude de manifestations, de sit-in de déclarations, de comité de soutiens en Belgique, aux Pays Bas, en Espagne et en France. Il est certain que la diaspora rifaine est une ressource précieuse pour le RIF et les affaires rifaines, mais reste en-deçà d’une organisation pertinente pour relayer comme il faut le combat rifain, cela justifie à mon sens la nécessité d’un vrai dialogue, d’une collaboration étroite, de coordination, de vision, de définition d’une stratégie intégrée et une gouvernance globale plus avisée c’est le cas notamment en France. Bien sûr j’encourage toutes les initiatives allant dans ce sens, à mon avis c’est l’occasion ou jamais de se pencher sur la question et resserrer les liens. Les rifains en France se doivent de faire figurer à leur agenda cette question prioritaire d’organisation exigée par l’actualité brulante que connait le RIF.
La diaspora rifaine possède de nombreux atouts, elle est une diaspora qui a réussi, dispose de talents, d’énergie de ressources remarquables, affiche un intérêt croissant à ce qui se passe dans le RIF, elle maintient un soutien sans faille et des relations très étroits avec le RIF. A présent il faut réfléchir à la meilleure manière de donner la réplique à cette mouvance, à l’idée de réseaux, à la création des conditions favorables, l’autonomisation, et la mise en œuvre de cette bonne volonté
Ceci dit il ne faut pas perdre de vue que la diaspora doit être conçu comme un soutien des locaux, des rifains du RIF et rien d’autre.
Pensez-vous que même les autres communautés berbérophones ont tourné le dos à votre lutte ?
Il faut nuancer ce constat. Dans l’ensemble NON, j’en veux pour preuve le nombre de déclarations de communiqués, de sit-in de solidarité et d’autres formes de mobilisation. Cette irruption soudaine de violence étatique contre une mouvance populaire pacifiste rifaine a provoqué de vives émotions et des réactions dans l’opinion amazighe dans sa globalité.
OUI quand il s’agit de CERTAINES associations de la société civile, du corps social, et de leaders d’opinions, des organisations censées représenter leurs peuples respectifs qui ont pris leurs distances, par crainte, et par communautarisme, mais aussi par pur calcul étriqué pour préserver leurs propres intérêts. Cela je peux facilement le comprendre. Beaucoup risquent leur disgrâce s’ils affichent un soutien quelconque à la dynamique populaire et la lutte rifaine.
Ces acteurs présentent par moment des positions molles, « légalistes », ambiguës, plein de doutes, de tergiversations, et de duplicité. Ils sont en contradiction avec les principes dont ils se réclament. Comble du ridicule certains sont allés jusqu’à justifier ces interventions musclées que je qualifie de reconquête et ont encensé obséquieusement et servilement le l’appareil repressif makhzenien et pire encore des militants se sont fait remonter les bretelles pour avoir pris la parole en public et apporté leur soutien, tenez-vous bien… à la question rifaine. Même le makhzen himself est incapable d’une telle démarche. Au Maroc, la question rifaine presse tout le monde de rentrer dans le rang, à se rallier à l’unité sacrée, et se ranger dans un discours moralisateur avec une perspective nationale, et nationaliste chantant les mérites de la cohésion nationale et l’évitement de la « fitna ».
En outre, la question rifaine représente un contentieux lourd de sens et de significations, elle exige beaucoup de courage, de lucidité, et de cohérence politique et surtout passez pas moi l’expression des « reins solides », pour s’avancer là-dessus. Ce n’est pas une simple question de dignité, une simple aspiration à la justice et à la démocratie, par ce soulèvement les rifains expriment leur colère, leur révolte profonde, leur refus d’un système inique, et de grandes ambitions. A mon sens dénoncer la « Hogra » non seulement demeure dérisoire, sommaire et partial, mais encore elle vise à dénaturer la question rifaine et la vider de sa substance, à banaliser le sens profond du combat d’avant-garde porté par un mouvement progressiste qui a fait ses preuves à tous les niveaux. Les enjeux sont plus grands et les rifains voient plus grands, c‘est toute l’Histoire qui resurgit, la mémoire meurtrie, les souffrances et les drames.
Plus fondamentalement, la réalité politique rifaine est fort complexe et la réduire à de simples dénonciations de la « Hogra » c’est ne rien comprendre à ce combat.
Je tiens à rendre hommage à mass Bouaziz ex-président MAK, un homme courageux qui à maintes reprises réaffirmé publiquement son soutien et salué en toute abnégation le combat du peuple rifain.
Quant aux communautés berbérophones, je dois dire qu’on en est loin des kurdes et de leurs mobilisations unitaires. Les berbères ne sont pas un bloc monolithique et ne regardent pas
dans la même direction. Chaque communauté est empêtrée dans ses propres problèmes, calculs et intérêts. Aussi il s';avère nécessaire que les amazighs disposent d'une structure à l’internationale consistante pour relayer sans compromission les combats essentiels des peuples amazighs.
Le sort Tamazgha est lié à celui du RIF et vice versa, ce dernier se trouve historiquement lié aux vicissitudes de la politique dans la région et, notamment, à la revendication historique d’une identité spécifique elle ne saurait se détacher des enjeux régionaux, nord-africain et méditerranéen.
Le RIF a joué un rôle croissant dans la vie politique berbère et la définition d’une vision claire de Timmuzgha, son combat force le respect et mérite le soutien de tous. En résumé, le RIF est un laboratoire clé pour la compréhension de notre histoire contemporaine dans notre cher Tamazgha.
Un dernier mot
J’adresse tous mes remerciements aux sites Amazigh 24 et Kabyle.com pour l’intérêt pour la question rifaine et plus globalement la solidarité du peuple kabyle à la question.
Je dois dire qu’il faut une vigilance absolue et une détermination sans faille. La balle est dans le camp de la jeunesse rifaine. Longue vie à ce mouvement. L’essentiel est de remporter les combats.
Fus dg fus tamunit i w’umnus !
Tanmirt. Tqad’awm s wattas.
Entretien réalisé par :: Amar BENHAMOUCHE